2014
Les hydravions belges du Tanganyika
par jean-pierre Sonck
L’attaque allemande
Quelques jours après l’offensive allemande en Europe, les forces du colonel Von Lettow-Vorbeck, gouverneur de l’Afrique Orientale Allemande (Deutsches Ost Afrika ou DOA), franchirent la frontière du Congo Belge. Le 15 août 1914, elles s’emparèrent de l’île d’Idjwi sur le lac Kivu malgré la neutralité de notre colonie. Les Allemands se heurtèrent à une résistance vigoureuse des soldats de la Force Publique qui repoussa plusieurs attaques. Leur flottille basée à Kigoma entreprit des actions offensives le long de la rive belge du lac Tanganyika. Le 22 août 1914, le bateau « Hedwig von Wissmann », un petit vapeur de 100 tonnes armé d’un canon de 37 mm, forçait à l’échouage le vapeur de 90 tonnes « Alexandre Delcommune » de la flotte du « Chemin de Fer des Grands Lacs » (CFL). Il coula également quelques embarcations et des pirogues indigènes en rade de la Lukuga. En réponse à ces actes d’hostilité, le gouvernement belge replié en France décida de participer à la lutte aux côtés des alliés et un contingent de soldats congolais de la Force Publique fut envoyé au Cameroun. Il combattit les Allemands avec les troupes coloniales françaises, tandis que les Anglais de Rhodésie recevait l’aide de deux bataillons de la Force Publique. Le 20 octobre 1914, le lieutenant de Marine Goor fut commissionné capitaine-commandant de la Force Publique et reçut la mission d’organiser la flottille du Tanganyika à Kalemie (Albertville). Le gouvernement belge s'était réfugié en France et depuis le port du Havre, où le ministère des Colonies avait trouvé refuge, le ministre Jules Renkin décida la constitution d’une véritable armée pour s’opposer aux forces ennemies de la DOA.
Il ordonna l’envoi au Congo Belge du personnel d’encadrement et du matériel nécessaires à la formation de deux brigades indigènes à deux régiments et une batterie d’artillerie, auxquelles s’ajouta un régiment supplémentaire destiné à la défense du Tanganyika et dénommé « Détachement des Lacs ». Cet ensemble de troupes, au nombre de 7.000 Congolais et de 700 Belges, fut constitué au cours de l’année suivante et placé sous le commandement du Général Major Tombeur. Face à cette armée, les forces du Général Von Lettow-Vorbecck avaient presque quadruplé depuis 1914. Elles comptaient 14.000 askari baptisés schutztruppe, des Africains encadrés par des officiers et sous-officiers allemands et entraînés selon les standards en vigueur dans l’armée prussienne. Deux raiders réussirent à forcer le blocus et apportèrent à Von Lettow-Vorbecck de l’armement et des munitions pour renforcer ses troupes tandis que les canons de 105 mm récupérés sur l’épave du « Koenigsberg » étaient installés sur affût mobile et intégrés dans ses batteries d’artillerie. Il ne reçut aucun renfort d’Allemagne et l’unique assistance en hommes qu’il put obtenir provenait des 320 hommes d’équipage du « Koenigsberg », un croiseur de la marine impériale de 3400 tonnes détruit par les Anglais le 11 juillet 1915 dans l’estuaire de la Rufiji, et des équipages des navires hydrographes « Möwe » et « planet ». Une partie de ces marins allemands fut envoyés par le chemin de fer du Tanganyikabahn à Kigoma pour former l’équipage du « Graf von Götzen ». Ce navire à vapeur de 70 mètres de long et de 800 tonnes fut armé d’un canon à tir rapide de 105 mm provenant du croiseur « Koenigsberg ». A l’arrière, il était armé d’un canon de 88 mm et des mitrailleuses et un canon léger de 37 mm étaient installés sur la passerelle. Ainsi équipé, le « Graf von Götzen » (1) rejoignit la flottille de la place forte de Kigoma, constituée du « Kingani » de 45 tonnes et du « Hedwig von Wissmann ». Il permit aux Allemands de conserver la supériorité sur la marine belge du lac Tanganyika.
La maîtrise des lacs
Le principal souci du général major Tombeur était de détruire la flottille allemande et à diverses reprises, il envoya des dépêches au QG/FP de Boma et au Havre, réclamant avec insistance des moyens pour avoir la maîtrise des lacs Kivu et Tanganyika. Dans une de ses dépêches, datée du 15 juin 1915 et réceptionnée au ministère des Colonies 24 heures plus tard, il demandait des vedettes lance-torpilles, un sous-marin et des hydravions. Le ministre Renkin résolut de la satisfaire et cette demande suivit son cours. Grâce à ses relations privilégiées avec les Anglais, le capitaine-commandant de Bueger, ancien colonial et aviateur d’hydravion expérimenté, avait reçu un hydravion Farman du Royal Naval Air Service avec lequel il effectuait régulièrement des patrouilles sur la côte belge en 1915. Il fut convoqué le 21 novembre par le ministre des Colonies et lui assura qu’il était possible d’employer l’aviation en Afrique Centrale. Il reçut la mission d’organiser et de diriger l’expédition d’une escadrille d’hydravions au Katanga. En vue de cette mission, le commandant de Bueger recruta trois pilotes, le lt Orta et les slt Behaeghe et Castiau, deux observateurs, les slt Russchaert et Colignon, trois mécaniciens et deux menuisiers d’aviation, puis il se mit à la recherche du matériel nécessaire. L’aéronautique française ne croyait guère au succès d’une telle entreprise, mais à Londres, les membres du Conseil de l’Amirauté avaient été alertés par les dangers que faisait courir la flottille allemande à la Fédération de Rhodésies-Nyassaland et ils convoquèrent le cdt de Bueger pour lui permettre d’exposer son projet.
A l’issue de cette réunion, le chef de la mission reçut un appui inconditionnel et fut autorisé à puiser dans les réserves du Royal Naval Air Service. Son choix se porta sur l’hydravion Short 827 Admiralty qui avait démontré dès 1914 le rôle prépondérant qu’il pouvait jouer au sein de la marine anglaise. C’était un monomoteur biplan caractérisé par deux plans inégaux de 18 mètres d’envergure qui pouvaient se replier le long du fuselage. L’empennage horizontal était constitué par un plan rectangulaire auquel était articulé deux volets de gauchissement. Sur le dessus du fuselage était monté une quille de dérive triangulaire en arrière de laquelle était articulé un grand gouvernail vertical. Un petit flotteur, servant à soutenir l’arrière de l’appareil durant l’amerrissage ou en cas de cabrage, était suspendu sous la queue. Deux grands flotteurs catamarans de trois mètres de long et de 0,52 de large étaient fixés au fuselage par des traverses et deux petits flotteurs d’ailes soutenaient l’hydravion en cas d’amerrissage penché. L’hydravion Short 827 à moteur Sunbean Nubian de 150 ch possédait de bonnes qualités de vol et atteignait la vitesse maximum de 125 km/h. Il avait plus de quatre heures d’autonomie en vol de croisière et son centrage parfait lui assurait une excellente tenue sur l’eau. Le Short pouvait emporter 1000 kg de charge et était armé d’une mitrailleuse Lewis calibre 303 avec cinq chargeurs-tambours de 97 coups dans l’habitacle. Sans perdre de temps, le cdt de Bueger obtint l’aide nécessaire du Royal Naval Air Service pour démonter et mettre en caisses quatre hydravion Short portant les numéros 3093, 3094, 3095 et 8219. Deux moteurs de rechange, de la toile d’avion et des pièces de rechange faisaient partie de ce chargement. Il comprenait huit caisses par hydravion, marquées du numéro de série de chaque appareil afin d’en faciliter l’assemblage à l’arrivée. Quarante jours plus tard, ces caisses furent embarquées à Falmouth à bord du navire « Anversville », un paquebot de 7694 tonnes appartenant à la Compagnie Belge Maritime du Congo dans lequel les membres de l’escadrille prirent également place. Le navire belge chargea également une TSF, le matériel électrique nécessaire aux travaux de mécanique et de menuiserie, trois mille bombes légères de 65 livres et de 16 livres, des munitions, des touques d’essence, d’huile et de pétrole, puis il prit la mer le 7 janvier 1916 et fit escale à La Rochelle pour compléter le chargement.
En route vers le Katanga
Trois jours après et alors que le navire terminait la traversée du golfe de Gascogne, un incendie se déclara sur le pont arrière où étaient stockés des milliers de litres de carburant et il fallut en jeter une partie à la mer. Heureusement, les caisses d’hydravions et le chargement de munitions arrimés dans la cale arrière ne furent pas atteints. Le voyage se poursuivit sans autre incident et le 4 février, l’Anversville fit escale à Boma, qui était à l’époque la capitale du Congo Belge. Deux jours plus tard, il accosta au port de Matadi et déchargea le contenu de ses cales pendant que le commandant de Bueger prenait contact avec les services du chemin de fer du Congo. C’est alors que les difficultés commencèrent, car les locomotives reliant ce port à Léopoldville (Kinshasa) par 400 km de voies étroites, avaient une capacité limitée à trois wagon, chargés chacun d’un maximum de dix tonnes. Le chef de la mission organisa le transport suivant un ordre convenu, de manière à ce que chaque hydravion arrive au complet au terme du trajet à Kalemie (Albertville), situé à 2850 kilomètres et où devait également parvenir 50.000 litres de carburant et mille litres d’huile pour les avions, ainsi que le chargement de munitions destiné en grande partie à la Force Publique. Dès qu’ils étaient transportés au-delà des cataractes du fleuve Congo à Léopoldville, les différents chargements devaient être déchargés, puis embarqués sur un bateau fluvial pour remonter le fleuve Congo vers Stanleyville (Kisangani). Le 7 février 1916, le cdt de Bueger accompagna les caisses de l’hydravion « 3093 » vers Léopoldville. Il était accompagné de quatre membres de l’escadrille : le pilote Behaeghe, l’observateur Colignon, le mécanicien Poncelet et un menuisier, laissant aux cinq autres membres le soin d’organiser l’envoi dans un ordre méthodique des chargements suivants.
Près de trois mois furent nécessaires pour amener les caisses du premier hydravion à leur but, car à partir de Stanleyville, où ils arrivèrent le 7 mars, le transport exploité par le « Chemin de Fer des Grands Lacs » (CFL) s’effectuait alternativement par le rail sur la rive gauche du fleuve Lualaba jusqu’à Ponthierville (125 km), puis sur le bief moyen du fleuve jusqu’à Kindu (320 km), d’où il fallait recharger sur voie ferrée jusqu’à Kongolo (355 km). De cette localité portuaire du Lualaba, le chargement reprenait la voie fluviale jusqu’à Kabalo (75 km). Enfin, une liaison ferroviaire du CFL de 273 kilomètres aboutissait à Kalemie (Albertville). On imagine aisément le casse-tête représenté par ces nombreuses ruptures de charges. Kalemie avait été fondée en 1891 à l’embouchure de la Lukuga. Cette cité était devenue en 1914 la base du Détachement des Lacs pour la campagne de l’est africain. Une jetée fut mise en construction pour permettre la création d’un port et après l’arrivée du chemin de fer CFL en 1915, elle ne cessa de prendre de l’importance au point de vue stratégique. Sa défense fut assurée par deux canons d’artillerie de marine de 160 mm, une batterie de 75 mm et des pièces de marine de 76 mm. Dès son arrivée au bord du lac Tanganyika, le cdt de Bueger se présenta au QG du colonel Moulaert, chef du Détachement des Lacs, auquel son escadrille serait rattachée. Ce détachement de la FP avait établi ses quartiers au poste militaire de la Lukuga, où le cdt de Bueger songeait construire sa base d’hydravion, mais la vue du lac Tanganyika le fit changer d’avis. Ce lac est une véritable mer intérieure de 650 km sur 40 à 80 de large, soit une superficie plus grande que la Belgique, et le vent y soulève une forte houle. Le chef de la mission pensa un moment l’établir dans la baie de Burton, en face d’Usumbura, mais elle était trop éloignée de Kalemie (Albertville).
La base aéronavale
Le Cdt Jadot, chef du service de Génie du Détachement des Lacs, mis à sa disposition par le colonel Moulaert, proposa au cdt de Bueger le lac de Tongwe proche du camp de Mtoa, à trente kilomètres de la rivière Lukuga. Ce petit lac aux eaux calmes était l’endroit idéal, car il était séparé du Tanganyika par une petite bande de terre et ses berges à faible inclinaison en ferait une base parfaite pour la mission d’aviation. Il suffisait de creuser un canal pour permettre au baleinnières du Cdt Goor d’y accéder avec leur chargement. Dès le six avril, l’officier du Génie fixa les repères de la future implantation et trois jours plus tard, 180 indigènes de Mtoa et des alentours furent réquisitionnés pour défricher une aire de 400 sur 150 mètres en bord de rive qu’il fallut niveler ensuite. Le 12 avril, pendant que d’autres chargements partaient vers Kalemie (Albertville), le Cdt de Bueger et les membres de l’équipe qui l’avaient accompagné s’installèrent sous la tente au bord du lac Tongwe. Les jours suivants, le chef de la mission surveilla la construction de la base aéronavale qui comprenait des logements destinés au personnel navigant et non-navigant, le bureau de l’escadrille, un atelier mécanique et une menuiserie, quatre hangars pour les hydravions, des dépôts pour les bombes et les munitions, des réservoirs pour le carburant d’aviation et un plan incliné constitué de madriers et de planches pour la mise à l’eau des appareils. Une chaloupe à moteur fut démontée et remise à l’eau sur le lac Tongwe en attendant le creusement du canal. Les ouvriers congolais recrutés pour ces travaux construisirent également leurs propres logements et ceux du peloton de la Force Publique destiné à protéger la base. Ils employaient le matériel fourni par la région environnante, troncs d’arbres et paille et les briques étaient fabriquées sur place et séchées au soleil.
Après l’érection des hangars, les caisses contenant l’hydravion « 3093 » furent amenées de Kalemie (Albertville) avec les moyens du bord : les canots à moteur « Mimi » et « Toutou » de la flottille anglaise remorquant les baleinières. Les plus grosses caisses contenant le fuselage et les ailes furent transportées sur deux barcasses accolées, munies d’un plancher faisant radeau et tirées par le bateau « Le Vengeur », ex-« Alexandre Delcommune ». Il avait été remis en état et armé d’un canon de 76 mm. Il fallut opérer le transport de nuit pour éviter d’éveiller la curiosité des espions allemands et les caisses les plus encombrantes arrivèrent à la base de Mtoa entre le 23 avril et le 17 mai 1916. Dès l’ouverture des caisses numérotées « 3093 », le sous-lieutenant Behaeghe et les sous-officiers mécaniciens et menuisiers de l’escadrille tentèrent l’assemblage du premier hydravion Short, un appareil qu’ils connaissaient sommairement. Certaines pièces du moteur étaient en mauvais état, des tendeurs étaient rouillés et la toile était abîmée par le voyage. Le montage du fuselage et des flotteurs principaux du « 3093 » fut terminé fin avril grâce au matériel de rechange amené à bon port par les mécaniciens De Roo et Teeuwen et l’aide de quelques indigènes et d’un palan. D’autres chargements parvinrent ensuite avec les pilotes Orta et Castiau convoyant les caisses des appareils « 3094 » et « 3095 » dont ils étaient titulaires et celles de l’hydravion de réserve « 8219 ». Afin de faciliter le transport des caisses vers les hangars et pour suppléer au manque de chariots pour la mise à l’eau, un petit chemin de fer Decauville fut construit en peu de jours sous les directives du cdt Jadot.
Préparation des raids aériens
Le 13 mai, l’hydravion « 3093 » placé sur son chariot reçut son moteur et les mécaniciens firent des essais de mise en route. Le lendemain, dès que l’appareil fut muni de ses ailes aux couleurs belges, des soldats et des ouvriers congolais le poussèrent vers la rive du lac Tongwe où il fut mis à l’eau. Lorsque le pilote Behaeghe augmenta les gaz du moteur pour s’élancer sur le lac et prendre son envol contre le vent, tous les Congolais disparurent comme par enchantement, effrayés par cette monstrueuse machine volante qui ronflait bruyamment. Le Slt Aimé Behaeghe effectua également un vol solitaire le lendemain, puis il se rendit avec le Cdt De Bueger à Kalemie où son hydravion se posa sur la rade, acclamé par la population de la localité portuaire. Le mauvais temps y bloqua l’appareil durant douze jours et il fallut y réparer un des flotteurs. Outre les améliorations qu’ils avaient apporté à l’hydravion « 3093 », les sous-officiers avaient remonté l’appareil « 3094 » et pendant que l’on réparait son appareil à Kalemie, le Slt Behaeghe retourna à Mtoa le 24 mai pour un vol d’essai sur le Short « 3094 » de Tony Orta. Le 26 mai, il revint à la base avec son hydravion, puis il effectua un second essai sur l’appareil du Lt Orta le lendemain. Le 29 mai, le pilote Behaeghe et l’observateur Collignon s’envolèrent à pleine charge, avec deux bombes de 65 livres et du combustible pour quatre heures de vol. Le jour suivant, les pilotes débutèrent les vols d’entraînement au bombardement qui se déroulèrent parfaitement malgré l’altitude du lac : 785 mètres. Le 31 mai suivant, le lieutenant Tony Orta démontra les qualités de l’hydravion Short devant le colonel Moulaert venu en inspection à Mtoa et lui donna son baptême de l’air. L’offensive terrestre contre les forces allemandes la DOA avait été déclenchée le 18 avril 1916 et l’ensemble des troupes placées sous le commandement du général major Tombeur y participait, soit les brigades Nord et Sud à deux régiments et le « Détachement des Lacs ».
Cette unité se subdivisait ainsi :
- les ouvrages de défense du Tanganyika (artillerie de marine, etc..)
- la flottille du lac
- l’escadrille d’hydravions
- le corps de débarquement constitué du 6e bataillon FP
L’ennemi avait déjà prouvé son audace et afin d’assurer la sécurité de la base de Mtoa, le colonel Moulaert y détacha une batterie de canons de 75 mm Krupp qui fut mise en position face au lac et entourée de retranchements d’infanterie. Le 1er juin, alors que le montage du « 3095 » était en cours, le colonel Moulaert ordonna le bombardement des navires en rade de Kigoma. Malheureusement le lendemain, l’hydravion « 3094 » du slt Orta heurta un tronc d’arbre et se brisa. L’appareil fut renfloué à l’aide d’un palan fixé sur une des baleinières et ramené à terre pour être réparé. Il fut impossible de lancer des missions les jours suivants suite à l’absence totale de vent. Le 11 juin au soir, la brise se leva et le pilote Behaeghe demanda au colonel Moulaert d’effectuer une mission de bombardement. Il partit vers 17h15 avec l’observateur Colignon dans le « 3093 ». L’objectif était situé à 125 km de la base et à mi-chemin, ils survolèrent « Le Vengeur » qui les avait précédé sur le même itinéraire pour intervenir en cas de panne. A trente kilomètres de leur but, le moteur toussa et s’arrêta. L’avion se posa sur le lac et il fut repéré par les fusées de détresse tirées par l’équipage. L’hydravion fut pris en remorque par le bateau et ramené à la base le lendemain matin vers sept heures. Les mécaniciens examinèrent le moteur et découvrirent la cause de la panne : deux bouchons purgeurs avaient cédés. Dès la remise en état, une nouvelle mission fut lancée vers 18h00 avec le même équipage qui eut plus de chance, car il survola le port de Kigoma et l’observateur Colignon réussit à lâcher à basse altitude deux projectiles de 65 livres sur le navire allemand « Graf von Götzen », malgré les tirs de défense contre avions. Un des engins explosa sur le gaillard arrière et fit taire une mitrailleuse et le canon de 88 mm, tandis que la poupe du navire se mit à brûler.
Il vida ensuite les chargeurs circulaires de sa Lewis sur les positions ennemies, jetant la panique parmi les défenseurs. Une panne survenue lors du retour faillit tourner à la catastrophe, car un des flotteurs était percé de balles, mais par chance « Le Vengeur » aperçut les dernières fusées tirées par l’équipage et brûla les feux pour le rejoindre. L’appareil réapparut le lendemain à la base de Mtoa, remorqué par son ange gardien. Les aviateurs firent leur rapport au cdt de Bueger qui le transmit immédiatement au QG de la Lukuga par un porteur de dépêches. Ce rapport de mission enthousiasma le Col Moulaert qui cita l’équipage à l’ordre du jour de ses troupes (2). Quinze jours plus tard, le problème des bouchons-purgeurs fut résolu par les techniciens des ateliers CFL de Kindu qui en fabriquèrent de plus solides, ainsi que des radiateurs supplémentaires qui furent ajoutés sur le flanc du fuselage de chaque appareil, car la chaleur était généralement la cause de ces pannes.
La capture de Kigoma
A partir du 25 juin 1916, le troisième appareil numéroté « 3095 » du pilote Castiau et de l’observateur Russchaert fut intégré au sein de l’escadrille et les équipages s’entraînèrent en formation au-dessus du lac, perfectionnant leur entraînement avec simulation de lancer de bombes. Ils s’exercèrent également à l’observation aérienne au moyen d’un appareil de téléphotographie reçut le 22 juin et pour lequel un laboratoire de développement avait été construit. Les premières plaques développées après la mission de reconnaissance effectuée le 9 juillet par Orta et Castiau montrèrent avec précision le port ennemi et les positions de défenses défendues par une importante artillerie dont un des 105 mm du Koenigsberg. Le chef de l’escadrille put aviser le QG que le « Graf von Götzen » était toujours à flot et qu’un autre navire amené en pièces détachées de Dar es Salaam, l’« Adjudant », était en cours d’armement. La base s’enrichit d’une station de TSF et c’est par ce moyen que le Cdt de Bueger apprit au QG de la Lukuga que le Short endommagé par le pilote Tony Orta le 2 juin était prêt. C’était une bonne nouvelle et l’Etat Major décida d’intensifier les missions de bombardement dès le 12 juillet pour soutenir l’offensive terrestre progressant du nord et du sud vers Kigoma. Ce jour là, un épais brouillard força malheureusement les appareils à rebrousser chemin vers la base et le « 3095 » de Castiau et Russchaert fut endommagé à l’amerrissage. Il fut immobilisé jusqu’au 30 juillet et l’hydravion 8219, tenu en réserve et baptisé « Quand Même », fut remonté. Le temps s’améliora le 17 juillet et deux Short s’envolèrent à 14h30 vers Kigoma pour une nouvelle mission, l’un avait huit bombes de 12,5 livres et l’autre deux bombes de 65 livres. Les appareils survolèrent l’objectif et les observateurs lâchèrent leur chargement d’engins explosifs. Grâce à une très faible défense contre avions, les équipages purent observer le port à leur aise après le bombardement et de retour à la base de Mtoa vers 17h15, ils signalèrent que le « Graf von Götzen » semblait désarmé, que le remorqueur « Adjudant » gisait sur son flanc, touché par les bombes et que des ouvrages fortifiés étaient en construction. Le lendemain, un nouveau raid permit d’attaquer ces fortifications et d’incendier un dépôt de carburant. Les appareils lâchèrent ensuite des milliers de tracts en swahili pour inviter les askari à se rendre.
Une reconnaissance photo effectuée le 20 juillet permit la découverte de nouveaux objectifs. Trois jours plus tard, les équipages des hydravions découvrirent la ville totalement abandonnée par ses défenseurs, tandis que les navires de la flottille s’étaient sabordés. Les troupes congolaises qui progressaient vers Kigoma avaient un excellent moral, car le bruit s’était répandu que l’ennemi était attaqué par d’énormes oiseaux lançant le feu du ciel ! Kigoma fut occupée le 27 juillet sans combats par les troupes du LtCol Thomas, chef du 2e régiment de la brigade Sud. Le 10 août suivant, l’escadrille au complet s’envola de la base de Mtoa et se posa dans le port de la ville conquise où ses membres furent reçus par le Col Olsen, chef de la brigade Sud, qui les félicita pour leur action. Il leur confia qu’à chacune de leurs attaques aériennes, ses troupes avaient senti fondre la résistance ennemie. Sans autres objectifs à attaquer, la présence des hydravions devenait inutile et les appareils furent à nouveau démontés et mis en caisse. Epuisé par ses nombreuses missions, Aimé Behaeghe fut évacué vers l’hôpital de Niemba où il décéda. Son corps demeura sur la terre d’Afrique, tandis que ses camarades regagnaient la France et reprenait du service à Calais où l’aéronautique belge les mit en action avec leur Short contre les Uboot. L’escadrille reçut ensuite des hydravions Schreck FBA modèle « H » à moteur Hispano-Suiza dont un exemplaire est visible à la section de l’Air du MRA. L’observateur Léon Colignon ne survécut pas à la guerre et disparut au cours d’une mission sur le front de l’Yser.
FIN
(1) Le « Graf von Götzen » et le « Hedwig von Wissmann » portaient le nom d’anciens gouverneurs de la DOA.
(2) Le sous-lieutenant Behaeghe et le lieutenant Colignon furent également cité à l’odre du jour des troupes par le général Tombeur et ils furent décorés de la Croix de guerre par le Roi Albert sur proposition du ministre Renkin et il se virent également décerner des décorations africaines.
Bibliographie
- « La campagne Anglo-Belge de l’Afrique Orientale Allemande », par Charles Stiénon.
- « Histoire de l’aviation Force Publique », par Daniel Despas dans le Nsango ya Bisu.
- « Les avions belges en Afrique Orientale » par Patrick Laureau dans Histoire et Maquettisme